Compte-rendu de la formation de journalistes par le CIPADH du 23-25 Février 2016. Comment les journalistes peuvent-ils et/ou doivent-ils traiter la question des droits de l’homme, dans un contexte sécuritaire tendu, où la pratique journalistique, en constante évolution, est tiraillée entre ses principes éthiques fondamentaux et les nouvelles exigences politiques et économiques des entreprises journalistiques ?

Cela s’avère être une des questions fondamentales de la formation, considérée et traitée par les divers intervenants à travers plusieurs facettes complémentaires : dans un paysage international soumis à de nombreuses crises, et dans laquelle l’image de la fonction journalistique elle-même est écornée et négativement perçue, la question de la déontologie et du rapport aux droits humains des journalistes s’avère plus que jamais essentiel à traiter.

L’évolution de la pratique journalistique
La pratique journalistique est en crise : les restrictions budgétaires impactent durement les rédactions. Les journalistes sont de plus en plus fréquemment et intentionnellement visés dans des zones à risque, considérés comme faisant partis d’une communauté internationale et représentant des intérêts occidentaux plutôt que comme défenseurs des populations locales, ce qui oblige les rédactions à prendre de fortes mesures de sécurité pour protéger ses reporters, comme nous l’indique Olivier Da Lage, Journaliste à RFI et écrivain. Le résultat logique est que les postes de reporters se raréfient ; d’autant que l’essor des nouvelles technologies permet de plus en plus aux journalistes de travailler depuis leurs bureaux.

L’essor des nouvelles technologies
L’essor de nouvelles technologies, en particulier de l’importance des réseaux sociaux dans la diffusion des informations, est généralement perçu comme étant positif par les intervenants de la formation. Ainsi, Pierre Bavaud, Journaliste à la RTS, présente le cas du projet Exils sur la RTS, qui suit le voyage en direct de réfugiés, et qui permet, en alliant à la fois l’utilisation en live des réseaux sociaux, un documentaire interactif, des interviews diffusées en direct à l’antenne et un reportage radio augmenté, de traiter la question migratoire à travers une nouvelle facette.

Le rôle du journaliste et son rapport aux droits de l’homme
Les médias et les acteurs humanitaires ont des rôles complémentaires. C’est le constat de Michel Sailhan, Journaliste pour une agence de presse internationale et écrivain,  qui montre comment la diffusion d’une information en lien avec les droits humains par un journaliste permet aux acteurs humanitaires, associations ou ONG, de s’approprier l’information et d’en faire une action militante. Les médias ont la lourde responsabilité de sensibiliser et d’informer l’opinion publique. Qui plus est, s’ils sont bien renseignés et qu’ils coopèrent entre eux, ils ont le potentiel de faire pression sur les gouvernements pour les inciter à résoudre les crises humanitaires.

Néanmoins, le journaliste n’est pas un acteur humanitaire : ces derniers critiquent d’ailleurs fréquemment cette profession pour ses tendances réductrices et simplificatrices, comme l’indique Valérie Gorin, collaboratrice scientifique au CERAH et chercheuse au FNS. C’est pourquoi il existe des formations à la discipline du humanitarian reporting, comme celle financée par la fondation Aga Khan au Pakistan.  Il faut toutefois garder à l’esprit qu’un journaliste travaille pour une entreprise dont l’intérêt principal reste économique : il s’agit de vendre de l’information, qui doit donc demeurer attrayante et séduire les lecteurs.

Le rôle de l’éthique et de la déontologie dans la profession journalistique
L’éthique et la déontologie, dont nous parle plus précisément Benoît Grevisse, Professeur à l’Université Catholique de Louvain, diffèrent de la moralité. En effet, ces notions constituent des principes fondamentaux du journalisme qui ne sont donc pas censées être relatives et jouent un rôle essentiel dans la fonction journalistique, et en particulier dans son rapport aux droits de l’homme.

Ainsi, le journaliste doit rester prudent et permettre la sécurité de son équipe et de ses sources en priorité : l’information ne peut venir qu’en second plan. De même, le principe d’impartialité doit être respecté à tout prix : un journaliste ne doit pas exagérer les évènements pour mobiliser l’opinion, mais toujours s’efforcer de raconter la vérité. Si cette dernière demeure souvent relative, et qu’un seul journaliste ne peut que partiellement témoigner, une facette réelle des évènements sera au mois narrée.
La question de savoir comment montrer une information choquante et/ou violente dans les médias télévisés est également essentielle pour un journaliste : certains critères, rapportés par Xavier Colin, Présentateur de l’émission Geopolitis, peuvent être mis en place, qui permettent de limiter la perception du journaliste comme étant un « charognard » instrumentalisant des images choc pour vendre ses informations, comme par exemple ne pas diffuser l’acte de mort.

En conclusion, cette formation de trois jours se voulait être une opportunité de réfléchir sur les contraintes et enjeux actuels du journalisme mais aussi une occasion pour rappeler aux participants l’importance de toujours chercher à intégrer la considération des droits de l’homme dans les sujets de tous les jours.

 

Programme de la formation

•    Mardi 23 février – Couverture des conflits et protection des journalistes

9h-9h30 : Introduction : présentation des participants et des buts de la formation
9h30-10h45 : « Soins de santé en danger: les enjeux et obstacles auxquels se heurte le personnel de santé dans les situations à risque ».
Chiara Zanette, Chargée de programme « Soins de santé en danger » pour le CICR
11h-12h15 : « Enjeux du reportage sur des sujets humanitaires et sur les relations avec les ONG »
Valérie Gorin, collaboratrice scientifique au CERAH (Centre d’Enseignement et de Recherche en Action Humanitaire) et chercheuse FNS Senior à l’Université de Lausanne

12h15-14h : Déjeuner

14h-15h30 : Visite personnalisée des locaux du CICR avec une présentation sur la protection des journalistes en situation de conflit ou violence au regard du droit international, l’action du CICR envers les journalistes et le reportage humanitaire et la protection des victimes.
Claire Kaplun, Responsable des relations publiques et communication, Porte-parole Afrique au CICR. 
15h45-17h : Visite guidée du Musée de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge
19h : Dîner offert par le CIPADH

•    Mercredi 24 février – Ecrire et Agir pour les Droits de l’Homme

9h-10h30. « Aller sur le terrain et dire la vérité : Jusqu’où peut-on aller sans mettre en danger ses sources (et soi-même) ? »
Olivier Da Lage, journaliste à RFI, spécialiste des questions internationales, notamment du Moyen-Orient
15 mn pause café
10h45- 12h15 : « Le journalisme en situation de crise »
Michel Sailhan, Journaliste au Service International de l’AFP à Paris et ancien Reporter AFP au Caire

12h15-14h : Déjeuner

14h-15h : Visite de la section communication- relations presse du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) au Palais Wilson
16h-17h30 : Visite du Palais des Nations-Unies
Dîner libre

•    Jeudi 25 février – Les approches éthiques et les évolutions médiatiques

9h30-11h: Visite de la Tribune de Genève par Denis Etienne, Rédacteur en chef adjoint, suivie de la conférence de rédaction.
11h45-13h : « Déficit de gouvernance, non-respect des droits de l’homme : le journaliste est-il complice par son silence ? »
Xavier Colin, Journaliste à la RTS et présentateur de l’émission Géopolitis

13h-14h30 : Buffet oriental préparé par des réfugiés syriens et debriefing de la formation

14h30-16h. « Ethique et déontologie du journalisme face à de nouvelles dynamiques médiatiques. »
Benoît Grevisse, Docteur en communication, Professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et directeur de l’École de journalisme de Louvain
16h-17h : « L’importance du passé pour saisir le présent et entrevoir le futur. »
Pierre Bavaud, Journaliste à la RTS

Leave a Reply

Your email address will not be published.