Notre invitée du CIPADH est Anja Wyden Guelpa, Chancelière d’Etat à Genève depuis 2009, réélue en 2013 pour un deuxième mandat. Organisant La semaine de la démocratie depuis 2015, l’événement commence le 15 septembre, lors de la Journée internationale de la démocratie. Genève est actuellement le seul canton en Suisse qui s’engage pendant une semaine à réfléchir sur la question de la démocratie dans le pays mais également dans le monde. Quels sont les défis actuels des démocraties ? Quels sont les bénéfices d’un tel programme ? Réponses de la Chancelière d’Etat.
La semaine de la démocratie
Que représente la semaine de la démocratie ? Quels sont les valeurs ou les idées que vous voulez véhiculer ?
L’engagement dans une communauté et le respect sont des valeurs importantes pour nous. La Semaine de la démocratie propose des moments de réflexions et d’échanges entre les institutions politiques genevoises et la société civile, dans la perspective de renouveler et d’élargir la participation démocratique. Elle a comme objectif de faire émerger des dynamiques et des propositions nouvelles qui permettront d’augmenter la participation citoyenne. Car une démocratie, aussi sophistiquée qu’elle soit, qui ne se réinvente pas se sclérose et périclite.
Pourquoi le canton de Genève se sent concerné par ce type d’événements ? Quelle est la plus-value de Genève ?
Alors qu’historiquement la démocratie a été le fruit de longs processus souvent conflictuels, que des personnes risquent, aujourd’hui encore, leur vie pour l’instaurer ou la défendre, elle peut susciter indifférence ou mécontentement dans les sociétés démocratiques avancées. Cela se traduit souvent par un fort taux d’abstention lors des votations ou des élections. La Semaine de la démocratie permet de mettre en lumière l’importance des outils démocratiques et donne une visibilité accrue à nos institutions et à leur fonctionnement, ce d’autant que Genève est une ville internationale qui a historiquement joué un rôle important dans la promotion de la paix.
Questionnement sur le modèle démocratique
Que pensez-vous de la démocratie comme concept universel ? Elle-est applicable partout ? Est-ce un idéal vers lequel tendre ?
Vaste question à laquelle il est difficile de répondre en quelques mots. La démocratie est certainement un idéal mais elle ne peut être imposée uniquement de l’extérieur, il n’y a pas de voie unique favorisant la démocratisation. Cette thématique a d’ailleurs fait l’objet du débat entre jeunes collégiens et collégiennes qui a eu lieu à l’UNIGE, le 15 septembre 2016, dans le cadre de la Semaine de la démocratie qui a ainsi pu développer des idées intéressantes et contrastées sur le sujet.
Winston Churchill a dit en 1947 à la Chambre des Communes que : « La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire ».[1] Quelles sont les failles de la démocratie ? Comment peut-on pousser à l’améliorer ?
En écoutant les besoins des citoyens et citoyennes, en partageant et en communicant, il est possible d’apporter des améliorations.
Dans un registre plus léger, l’humoriste Pierre Desproges a prétendu un jour que : « la démocratie était la pire des dictatures parce qu’elle est la dictature exercée par le plus grand nombre sur la minorité ». N’est-ce pas la limite de la démocratie ? Comment réagit-on lors d’un scrutin lorsque la minorité est très proche de la majorité et doit se soumettre ?
C’est le propre de la démocratie d’accepter la victoire d’une majorité, même si celle-ci gagne de peu. J’ai entendu certaines personnes dire qu’il ne fallait pas laisser le peuple s’exprimer directement selon cette approche. Comme les député-e-s sont les représentant-e-s du peuple, c’est à eux/elles d’exprimer la volonté du peuple car ce dernier se trompe souvent. Je ne partage pas cette position et je pense que la démocratie semi-directe suisse est un bon exemple.
Dans des Etats avec une tout autre culture et histoire, comment s’applique la démocratie ? Pensez-vous que le travail est exclusivement intérieur ou les collaborations internationales peuvent-elles apporter quelque chose ?
Il n’y a pas de voie unique favorisant la démocratisation. Comme dit plus haut, la démocratie est certainement un idéal mais elle ne peut être imposée de l’extérieur. Les démocraties existantes peuvent servir d’exemple ou de modèle, mais les pays et leur peuple doivent s’approprier la démocratie et la faire évoluer à l’aune de leur culture et histoire. Le libéralisme politique est d’abord le fruit d’une lente maturation des sociétés. La structure économique d’un pays, sa trajectoire historique, sa culture juridique jouent bien plus que l’aide étrangère sur des changements de régime. La charte des Nations unies énonce le principe de non ingérence tout en invitant à “promouvoir et encourager le respect des droits de l’homme”, ce qui peut paraître quelque peu contradictoire selon le pays où l’on vit.
La démocratie à Genève
Dans notre propre canton, à Genève, il y a parfois des déficits dans la démocratie, par exemple, l’abstention de vote. Est-ce selon vous un véritable problème ? Si oui, quelles sont les mesures prises par le gouvernement pour y remédier ?
La faible participation politique des jeunes lors des scrutins et des votations par rapport aux personnes plus âgées est un fait. La moyenne de participation des moins de 29 ans est inférieure de près de 30 points par rapport aux personnes de 65 ans et plus. Les 90 ans et plus ont voté davantage que les électeurs et électrices de 18 à 34 ans avec 34.6% de participation!
Face à ce constat renouvelé, la chancellerie d’Etat s’engage activement, depuis 2011, pour encourager la participation politique des jeunes et tenter d’endiguer le problème de leur taux d’abstention. C’est ainsi que la chancellerie d’Etat a mis en œuvre plusieurs projets qui s’adressent aux différentes classes d’âge de la jeunesse et qui cherchent à les intéresser davantage aux problématiques citoyennes. La vitalité de notre démocratie passe inévitablement par l’investissement personnel des jeunes puisque ce sont eux qui devront assumer les décisions qui sont prises aujourd’hui. Plusieurs programmes ont été développés : Institutions 3D (i3D), un programme de promotion de la citoyenneté proposé aux écoles du canton qui amène les jeunes à découvrir et à réfléchir aux principes que sont la séparation des pouvoirs, la création des lois ou encore le cheminement d’un bulletin de vote lors d’une opération électorale. CinéCivic, un concours de mini-films et d’affiches fait par les jeunes pour parler aux jeunes de citoyenneté. Semaine de la démocratie, qui célèbre la démocratie sous toutes ses facettes. Gaming démocratique, en concertation avec le DIP, la chancellerie d’Etat a sélectionné un de ces projets, le jeu Democrapcy, qui questionne l’impact des décisions et de la coopération entre individus sur l’évolution de l’environnement sociétal, pour faire l’objet d’une phase d’étude et de développement prototypique. Le livre Institutions politiques genevoises, l’explication des institutions politiques genevoises avec une mise en perspective par les illustrations de Mix & Remix dont la plume. Soutien au Parlement des jeunes genevois, une subvention de 10’000 F leur est annuellement accordée par le canton ainsi que l’engagement dans certains des projets discutés plus haut tels que CinéCivic et la Semaine de la démocratie.
Pensez-vous que l’accès à l’information est de bonne qualité ? L’essor des réseaux sociaux permet un plus important accès à l’information mais est-elle vraiment de qualité ?
Le numérique modifie notre rapport à la société et à la démocratie. C’est à nous de faire en sorte que les réseaux sociaux deviennent un vecteur d’information de qualité car ils sont devenus incontournables auprès des jeunes.
Comment intéresser la population, en particulier les jeunes, aux questions démocratiques, politiques ? Pensez-vous que ces événements aident ou n’attirent-ils seulement que les gens déjà acquis ?
Je suis persuadée qu’un événement tel que la Silent party, organisé par le Parlement des jeunes genevois et l’association Genève ville vivante, le 24 septembre 2016 dans la Cour de l’Hôtel de Ville, même s’il appartient au domaine festif, peut sensibiliser les jeunes et les rapprocher des autorités du Canton et les amener à s’intéresser aux questions politiques.
Note de bas de page
[1] Democracy is the worst form of Government except all those other forms that have been tried from time to time.
Propos recueillis par Sonia Rodríguez – Coordinatrice de projets au CIPADH